La participation de la France au monde atlantique qui prend forme entre le 16e et le 17e siècles ouvre de nouvelles perspectives pour le commerce, la dissémination de la foi catholique, et les conquêtes coloniales, mais elle engendre de nouveaux problèmes de communication. Les marchands d’esclaves français sillonnant les côtes africaines cherchent des terrains d’entente linguistiques avec leurs interlocuteurs africains ; les marins font appel à leur connaissance de langues européennes et de langues véhiculaires (comme la lingua franca) pour communiquer avec d’autres vaisseaux en mer ou accoster dans des ports étrangers ; les explorateurs, marchands de fourrures, et missionnaires se démènent afin de maîtriser les divers idiomes des habitants amérindiens de la Nouvelle France ; et les colons français, Amérindiens, et esclaves africains dans les diverses colonies façonnent à partir de leurs savoirs linguistiques préexistants de nouveaux pidgins et créoles. Dans les sociétés de plus en plus cosmopolites des Amériques modernes, aussi bien dans les sphères d’influence de la France que en dehors, les impératifs de l’administration coloniale, l’évangélisation chrétienne, l’échange commercial et l’interaction sociale tous font de la capacité de communiquer dans un environnement plurilingue une compétence cruciale.
Paul Cohen propose dans cette conférence de réfléchir sur l’importance et la spécificité de la médiation linguistique dans l’histoire de la présence française en Amérique du nord. L’expérience de Champlain renvoie de façon plus générale aux problèmes suscités par la confrontation européenne avec la différence linguistique du Nouveau Monde à l’époque moderdne.
La médiation linguistique se situe au cœur de l’expérience impériale. Dans le cas de l’Amérique française, les interprètes interviennent de façon décisive dans plusieurs contextes différents : le commerce, les interactions sociales, le changement religieux, le gouvernement colonial, et la guerre.
Dans ces domaines, le succès ou l’échec de la réduction des écarts linguistiques influencent le résultat de ces activités. Que ce soient des Amérindiens ayant appris le français lors de voyages en France ou dans des écoles missionnaires, des coureurs des bois français qui s’étaient plongés dans la société amérindienne ou s’être attachés à des femmes amérindiennes, ou des missionnaires jésuites – les interprètes sont des figures complexes, qui occupent une position culturelle, religieuse et politique médiane, témoignant ainsi des termes extrêmement fluides des relations franco-amérindiennes.