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Petite moustache, veston marron avec cravate, texte maîtrisé… Pendant plus d’une heure, le conférencier Christian Bode incarne le peintre Lawren Harris (1885-1970). La soirée du 15 février au théâtre de l’Alliance française proposée par la Société d’histoire de Toronto (SHT) revenait, par l’entremise d’un de ses membres iconiques, sur le Groupe des sept. Cette école de peinture paysagiste a révolutionné l’art canadien.
Au début du XXe siècle, Lawren Harris déplore l’absence de lieu pour artistes émergents, avec lesquels il s’est noué d’amitié. L’héritier richissime construit alors le Studio Building en 1914, toujours visible près des rues Yonge et Bloor, loué une bouchée de pain à des peintres modernistes. Au pupitre, Gilles Huot, membre de la SHT, complète les monologues successifs dans le rôle d’un narrateur.
Entre les panoramas, les grandes forêts du Bouclier canadien, ses lacs, puis les reliefs des montagnes Rocheuses, le récit revient sur les voyages qui ont forgé l’inspiration des artistes. Il s’attarde surtout sur le mépris initial des critiques canadiennes. Les formes impressionnistes, aux contours flous voire abstraits, sont qualifiées de « technique de la soupe à la tomate », de « pudding » ou au mieux « d’école du parc Algonquin » là où les peintres en quête de reconnaissance rêvent d’un rayonnement international. En 1920, « quelqu’un a dit et pourquoi pas le Groupe des sept? », relate Harris, s’inspirant d’autres collectifs d’artistes en Belgique et en Allemagne.
La réception du Groupe des sept lors d’une exposition à Londres en 1924 est toute autre. Elle pourrait devenir « une des plus grandes écoles paysagistes du monde », s’enthousiasme la presse britannique. Mais le décalage avec la critique artistique canadienne persiste, voire se creuse. Lors de la première exposition d’art abstrait en 1927, ces peintres encore plus avant-gardistes sont qualifiés de « plus dangereux que les fous en asile psychiatrique ».
Pourtant, de plus en plus de curieux se pressent aux expositions, par exemple 65 000 visiteurs à Vancouver, lorsque la ville comptait 300 000 habitants. Mais cet intérêt débouche sur peu de ventes, les acquéreurs privés préférant les styles académiques. Même lorsque le Groupe se dissout en 1933, le chemin vers la reconnaissance comme mouvement moderniste n’est pas achevé.
La conférence se termine avec un saut dans le temps, une vente aux enchères en 2016 au Design Exchange de Toronto. Une toile acquise pour 9,5 millions $ est qualifiée de « manifestation de l’âme canadienne ».
La conférence incarnée se conclut sur un moment de questions-réponses. Christian Bode révèle que la moitié de son texte est tiré de lettres de Lawren Harris. Pour une prochaine fois, il imagine une collaboration avec des étudiants en Art ou en Histoire de l’art.
« Vous feriez les peintres progressistes, le beau rôle, et je ferai le critique conservateur », lance-t-il à la salle. Le 22 mars, la SHT proposera une autre conférence vivante avec pour thème « Muse, musique et amusement ».
Photo : Christian Bode s’est mis dans la peau du peintre Lawren Harris, tandis que des œuvres et images d’archives défilent derrière lui.