Conférence d’Yves Frenette à l’Alliance Française
Du 1er voyage de Jacques Cartier en 1534, jusqu’à la disparition de la Nouvelle-France en 1763, et bien au-delà après la conquête britannique, l’histoire de l’Amérique du Nord s’est écrite avec des hommes et des femmes francophones en mouvement.
C’est ce que rappelle Yves Frenette, historien à l’Université de Saint-Boniface, où il occupe la chaire de recherche du Canada sur les migrations, les circulations et les communautés francophones.
Co-auteur en 2012 de La francophonie nord-américaine, ce spécialiste a apporté son éclairage à l’occasion de la conférence «Trois siècles de migrations francophones en Amérique du Nord (1640-1940)».
Organisée en ligne par l’Alliance française de Toronto, en partenariat avec la Société d’Histoire de Toronto, cette conférence était la première de la saison culturelle de l’Alliance l’automne dernier.
Les Acadiens sont passés d’agriculteurs à pêcheurs… à cause des Anglais
Implantés sur le territoire actuel de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard, les Acadiens ont depuis toujours pratiqué la pêche comme activité de subsistance et commerciale.
Cette pratique s’est intensifiée lors de leur retour d’exil à partir de 1763, lorsque la Nouvelle-France a été annexée par le Royaume-Uni.
Pour comprendre, explique Yves Frenette, il faut remonter à l’épisode de la déportation des Acadiens.
En 1713, après la conquête définitive de l’Acadie péninsulaire par les Anglais (la France garde l’Île du Cap-Breton et celle du Prince-Édouard), les Acadiens francophones et catholiques se sont retrouvés en situation minoritaire. Marqués par les conflits à répétition entre la France et le Royaume-Uni, ils voulaient rester neutres.
Ils ont donc refusé de prêter allégeance au souverain britannique. Ce serment les aurait forcés à prendre les armes contre la France en cas de guerre.
La stratégie du statu quo persista jusqu’en 1750, lorsque les Britanniques décidèrent de coloniser l’Acadie. Les Acadiens qui n’avaient pas fui en forêt, au Québec ou dans les îles françaises, ont été déportés dans les Treize Colonies, en Angleterre ou encore en France. De 14 000, les Acadiens n’étaient plus que 1000 après la déportation.
Leur retour d’exil fut autorisé en 1764. Néanmoins, ceux qui sont revenus ont vite constaté que les terres agricoles les plus fertiles étaient dorénavant occupées par des colons britanniques. N’ayant pas d’autres choix, ils s’installèrent sur la côte et se convertirent à la pêche.
Le métissage français-autochtones était différent au Nord et au Sud des Grands Lacs
Le métissage entre les colons français et les femmes autochtones est un phénomène observable partout en Nouvelle-France.
Ces mariages mixtes constituaient parfois une stratégie pour maintenir de bonnes relations et commercer plus facilement. Par exemple, l’épouse faisait office d’interprète entre son mari trappeur et les membres de sa tribu.
À l’inverse, au Sud des Grands Lacs, le métissage n’a pas conduit à l’émergence d’une identité singulière. Dans ces contrées, des villages franco-indiens se sont formés, mais leurs habitants ne se sont pas considérés comme un peuple à part entière.
Les trappeurs français se déplaçaient jusqu’au Nouveau-Mexique
Les commerçants et trappeurs canadiens-français se rendaient déjà dans cette région aride, alors sous domination espagnole, à l’époque de la Nouvelle-France. Ils empruntaient la piste de Sante-Fe, qui débute dans l’actuel Missouri. Cependant, la fourrure n’était pas toujours leur priorité… Parmi leurs marchandises diverses et variées, on retrouvait aussi de l’alcool!
Entre 1763 et les années 1830, la traite de la fourrure connut un âge d’or qui fut le témoin de migrations francophones intenses. La compagnie de la Baie d’Hudson et celle du Nord-Ouest se livraient une concurrence acharnée.
Leurs employés, appelés «les voyageurs», arpentaient le continent du Nord au Sud en l’espace de quelques mois seulement. Par exemple, on pouvait retrouver un même voyageur au Manitoba en août, en Illinois en octobre, et au Nouveau-Mexique en janvier.
Plus tard, en 1848, c’est la ruée vers l’or en Californie qui attira les aventuriers français à l’Ouest du continent.
La Louisiane était la colonie la plus multiculturelle
Colonie fondée en 1682, la Louisiane a développé une identité très différente de celles des autres possessions françaises d’Amérique.
À mi-chemin entre le monde franco-amérindien et franco-africain des Antilles, la Louisiane est un territoire où se sont côtoyées de multiples cultures. On y trouvait de nombreuses tribus amérindiennes et des créoles, les descendants des premiers colons français.
Cet aspect multiculturel s’est accentué encore davantage suite à de multiples migrations francophones, lorsque la colonie est devenue espagnole en 1763.
Entre 1765 et 1780, des réfugiés acadiens des Treize Colonies, d’Angleterre ou encore de France, y ont pris pied. Ils se sont installés dans les bayous et les prairies où ils formaient une communauté à part, les «Cadiens», rejetée par les populations créoles.
La Louisiane était un véritable creuset. Des Français de la métropole venaient s’y installer pour y tenter leur chance. Il s’agissait aussi d’une terre d’accueil pour les Marrons. Ces esclaves en fuite fondaient des communautés avec des autochtones à la marge des villes.
À la fin du XVIIIe siècle, s’y sont ajoutés quelque 20 000 réfugiés d’Haïti qui fuyaient les troubles indépendantistes dans la colonie française. Des maîtres et leurs esclaves, mais aussi des noirs affranchis, dont certains étaient esclavagistes, s’établirent à la Nouvelle-Orléans et ses alentours.
La ville devint alors un centre francophone majeur. Même si la colonie n’était plus française mais espagnole… Et bientôt américaine.
La Louisiane est en effet incorporée par les États-Unis en 1803 après la vente du territoire par Napoléon. Les communautés francophones connaîtront par la suite une lente assimilation linguistique. L’usage du français sera par exemple interdit dans les écoles en 1916.