Le mercredi 12 mai, le Club Richelieu Toronto recevait Rolande Smith et Brigitte LaFlair de la Société d’histoire de Toronto pour une conférence sur un thème que plusieurs n’associeraient pas spontanément au passé : la conversion des lieux de culte d’un usage à un autre. En effet, ce n’est pas d’hier que nombre d’églises sont désertées, vendues et transformées et parfois pour en faire une utilisation surprenante.
C’est particulièrement le cas pour une ville telle que Toronto où l’immigration et le brassage constant de populations des plus diverses entraînent, d’un quartier à l’autre, la disparition et l’émergence de spiritualités. Quelquefois, un bâtiment conservera la même vocation mais changera d’appartenance communautaire.
C’est ce que Mmes Smith et LaFlair ont illustré en énumérant les exemples. D’ailleurs, les Canadiens français de Toronto et les francophones en général s’inscrivent dans cette dynamique. Ainsi, la première église de la paroisse du Sacré-Coeur a été un ancien temple presbytérien acheté en 1887 et situé sur la rue King Est. Cinquante ans plus tard, les catholiques francophones se dotaient d’une nouvelle église, sur la rue Sherbourne, qui est toujours la leur aujourd’hui.
Quant à la paroisse Saint-Louis-de-France, créée pour accomoder la communauté catholique grandissante dans le nord de la ville, plusieurs seront surpris d’apprendre que le bâtiment qu’elle occupe depuis 1970 est une ancienne synagogue.
Un exemple frappant de « conversion » ethnoculturelle et linguistique est l’église Our Lady of Mount Carmel sur la rue St. Patrick. Construite en 1869, il s’agit de la plus vieille église catholique dans l’ouest de Toronto et constituait à l’origine une paroisse irlandaise. Puis, elle fut attribuée aux Italiens qui occupèrent les lieux jusqu’en 1969. Ce sont à présent des Chinois catholiques qui bénéficient de cette belle église.
Les histoires de cette sorte se retrouvent aux quatre coins de Toronto. Un exemple célèbre est la George Kirche. Érigée en 1873, cette petite église fut la propriété successive de sept dénominations : baptiste, épiscopale, pentecôtiste, etc. Elle desservit aussi brièvement la communauté danoise.
Autre exemple intéressant : le centre communautaire Cecil. C’est en 1891 que des évangélistes américains, les Disciples de l’Église du Christ, ont fait construire ce bâtiment qui avait alors une autre allure. En effet, le clocher a été remplacé par un dôme dans la foulée de l’acquisition de ce temple, en 1922, par des juifs de souche polonaise. Ceux-ci ont à leur tour déserté les lieux qui ont alors servi à abriter la première association torontoise de défense des droits des homosexuels. Puis, à la fin des années 1970, la Ville a acquis le bâtiment pour en faire un centre communautaire.
Bien entendu, la réaffectation d’une église ne se fait pas uniquement entre chrétiens ou juifs. Les conférencières ont évoqué les cas d’églises devenues mosquées, temples bouddhistes ou Hare Krishnas. Cette évolution n’est guère surprenante dans la ville qui se targue d’être la plus multiculturelle au Monde.
Qui plus est, l’adaptation d’une église à un autre usage ne se fait pas toujours de manière successive. Il arrive que plusieurs groupes cohabitent dans un même bâtiment pour des raisons pratiques ou financières. « C’est une conversion que l’on voit souvent dans les églises : on passe au niveau communautaire et on loue des salles pour renflouer les caisses », a commenté Rolande Smith.
Un exemple probant de ce phénomène réside dans l’église Trinity-St. Paul. On peut certes y trouver une congrégation de l’Église Unie mais les occupants du bâtiment le désignent plutôt comme un centre pour la foi, la justice et les arts. Et pour cause : l’ensemble Tafelmusik y offre ses concerts, une association des droits des Autochtones y tient ses rencontres et des locaux y sont loués pour des sessions de yoga, de danse et autres activités.
Sans surprise, les conférencières ont aussi abordé la question des églises devenues des immeubles d’habitation. Ainsi, au coin des rues College et Bathurst se trouvait auparavant un grand temple, bâti en 1885, appartenant à l’Église Unie. Aujourd’hui, seul le clocher subsiste, intégré à un bâtiment moderne. Au rez-de-chaussée de ce condominium se trouve toujours cette congrégation protestante en vertu d’une entente avec le développeur immobilier.
Il serait facile de multiplier les exemples de temples religieux ayant été adaptés à mille et une fonctions. Comme la ville de Toronto est en mutation constante, cette dynamique n’est pas prête de cesser.
PHOTO (crédit: SimonP) – Un exemple célèbre de conversion cultuelle: l’ancienne église presbytérienne sur Avenue Road est devenue, dans les années 1970, un temple Hare Krishna.
Article du journal Le Métropolitain (mai 2021) : Passé, présent et futur des lieux de culte