Le PATH : une ville sous Toronto

Le PATH : une ville sous une ville

Le Métropolitain
Philippe Thivierge

Les clichés les plus éculés ne tardent pas à pleuvoir lorsque l’on tente de décrire Toronto en quelques mots. Difficile de faire autrement : comment passer sous silence ou redire ce qui a été dit mille fois lorsqu’il est question du caractère cosmopolite de la ville ou de ses attraits modernes finement brodés d’histoire? Ou encore de sa constante ébullition économique, de ses magasins hauts de gamme ou de la passion pour les arts qui semble l’animer en toutes saisons?

Mais justement, non, tout n’a pas été dit et tout ne saute pas aux yeux aussi facilement. C’est pour nous le démontrer que la Société d’histoire de Toronto organise, du printemps à l’automne, des visites guidées en français aux thèmes les plus variés et parfois même les plus surprenants. Ainsi, le dimanche 15 avril, une trentaine de curieux ont suivi Rolande Smith pour une excursion dans le PATH («sentier »), le réseau souterrain piétonnier du centre-ville de la capitale ontarienne. Mme Smith, présidente de la Société d’histoire de Toronto, aidée de Chantal Smieliauskas, ont pendant deux heures fait découvrir une partie de ces longs couloirs élégants auxquels on accède parfois pour une raison ou une autre et pour en sortir aussitôt, sans se douter que l’on vient de pénétrer dans un monde qui pourrait sans peine se suffire à lui-même.

La visite commence à l’imposante gare Union, un lieu qui impressionne. Le choix de cette première étape n’est pas fortuit puisque les origines du PATH sont intimement liées au chemin de fer : il était de coutume, lorsque le Canada était encore un pays neuf et que le transport par train n’avait pas été supplanté par l’aviation commerciale naissante, de jouxter un hôtel à la gare des capitales provinciales.

La gare Union, ouverte en 1927, n’a eu qu’à attendre deux ans pour qu’un hôtel tout aussi majestueux s’élève en face : le Royal York. Pour accéder plus commodément au confort douillet qui les attendait, les chics passagers descendus du train pouvaient emprunter un passage sous la rue Front menant directement au Royal York. Des débuts modestes mais significatifs pour le PATH qui, tout au long du parcours, semble vouloir nous rappeler sa naissance dorée par la distinction de son architecture et le faste recherché de ses décors.

Son histoire, autant qu’une volonté délibérée de conserver une certaine cohésion d’apparence, font en sorte que des éléments clés de l’ornementation sont reconnaissables de couloir en couloir. Comme le fait remarquer Rolande Smith, le style « Beaux-Arts » caractérisant la gare Union se retrouve ici et là tout au long du PATH, notamment par le goût pour le monumental et pour les décorations somptueuses tels les plafonds à caissons richement travaillés. Le bois, le marbre et le verre figurent au premier plan des matériaux utilisés, toutes époques confondues.

Les visiteurs sont entraînés de complexe en complexe au rythme alerte de Mme Smith. À Brookfield Place, seconde escale du périple, un petit détour permet d’apercevoir un portrait de Guy Laliberté, fondateur du Cirque du Soleil, au Temple de la renommée de l’entreprise canadienne; suit ensuite la Galerie Allen Lambert, œuvre du designer-architecte Santiago Calatrava, dont la blancheur éclatante s’harmonise à merveille avec la luminosité des lieux. On peut voir dans cette galerie un édifice ayant autrefois appartenu à la Banque Royale du Canada, reconstruit pierre par pierre à cet endroit après avoir été déménagé de son emplacement originel. La Place Sam Pollock, quelques enjambées plus loin, se trouve tout juste au-dessus du Temple de la renommée du hockey, à proximité duquel passeront les visiteurs. Peu après, une mosaïque faite de dessins et de photos attire le regard : en la parcourant des yeux, le promeneur peut y retracer l’histoire industrielle du Canada.

On l’aura compris, le « grand capital » fait sentir sa présence du début à la fin de la visite, comme le rappelle d’ailleurs la bien-nommée Commerce Court où les participants s’engagent ensuite. Les noms des grandes banques canadiennes défilent au gré des couloirs pendant l’entièreté de la visite guidée et, cela n’est pas une surprise, le PATH est inextricablement relié aux hôtels les mieux cotés, aux chaînes de magasins les plus connues et surtout, au nombre de 1200, à des boutiques pour tous les goûts et à des services pour tous les besoins. « On peut y faire de tout, s’étonne Mme Smith en parlant du PATH. Je n’ai pas trouvé un type de boutique qui n’y est pas. »

Cette myriade de produits mercantiles se couple de la présence de services essentiels : il est possible, par exemples, de trouver un médecin, un dentiste ou un bureau de poste dans le souterrain. Il va sans dire que toute cette animation sous les pavés libère les trottoirs du dessus d’un achalandage qu’ils ne pourraient contenir.

Le groupe reprend la route après un détour par la Scotia Plaza où les visiteurs ont pu admirer la murale Waterfall, de l’artiste albertain Derek Besant, placée dans le hall de la Scotia Bank brillant de ses dorures. Après la First Canadian Place, toute de marbre blanc vêtue, ce sont les sculptures inuits de l’Exchange Tower qui retiennent ensuite l’attention, en particulier celle d’une déesse de la mer dont Rolande Smith ne tarde pas à raconter la légende. Des investisseurs fiévreux aux entités surnaturelles, le PATH semble vraiment être le carrefour du monde. Les participants reprennent ensuite leur chemin qui sera celui du retour. Les points d’attraction vont se raréfier jusqu’à l’hôtel Royal York qui marque la fin de la visite, lui qui pourtant a été aux origines de l’histoire du PATH.

Des 28 kilomètres que compte ce réseau souterrain piétonnier, assez pour l’inscrire au livre des records Guinness, les marcheurs en auront parcouru près du tiers. Ce n’était là que le premier des « historitours » de l’année 2012 qui en comptera sept autres, tous organisés par la Société d’histoire de Toronto. Des excursions gratuites, bien vulgarisées et accessibles à tous, auxquelles il est facile de prendre goût.

Photo (non disponible) : La visite a commencé à la gare Union car les origines du PATH sont intimement liées au chemin de fer.